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Le syndrome de l’escalier

A l’époque, où ma maman tentait de m’inculquer quelques principes de bienséance, elle rappelait la règle de politesse suivante : « Un homme précède toujours une femme dans un escalier : à la descente, comme ça il peut la retenir si elle tombe, et à la montée ».

Considérant que la loi de la gravité s’impose tant à la montée qu’à la descente, je ne comprenais pas la logique de cette norme.

D’autant que la seule fois où j’osais la question du pourquoi, il me fût répondu sèchement : « C’est évident ! »

J’admis donc, fort naïvement, que les femmes pour des raisons obscures sans doute liées à leur état, ne pouvaient pas tomber lorsqu’elles montaient un escalier, en manière telle que la présence d’un homme, derrière-elle, n’avait aucune justification, et que sans doute, plus instruit des mystères féminins, je comprendrais un jour les causes profondes de cette absence de risque « à la montée ».

Quelques années plus tard et un paquet d’hormones en plus, l’ « évidence » de ma maman se fit plus évidente !

L’inclinaison de l’escalier était propice à l’inclination charnelle, et comme le disait un de mes profs de religion, abbé de son état, amenait de mauvaises pensées qui ouvraient les portes de l’Enfer. Le saint homme avait manifestement approfondit le sujet, lui qui recevait certains de mes camarades de pension entre 7 et 9, le soir dans son studio pour des cours très particuliers.

Bigre ! Tout cela pour un escalier ! Je compris donc que la descente de l’escalier permettait à l’homme, en cas de faux pas de la donzelle, de devenir son sauveur, tandis que l’ordre de la montée était une question de vie éternelle. Dès lors, si la descente est source de sécurité pour la femme, la montée elle, est un péril infiniment plus grand pour l’homme. Et puisque depuis le Concile de Trente, il a été décrété à une voix près que les femmes avaient une âme, l’ordre « à la montée » démontrait de manière éclatante que la femme ne pouvait avoir de « mauvaise pensée ». A défaut, la règle eût été de monter « d’égalité », ou de ne jamais occuper l’escalier au même moment. L’Eglise, dans sa sagesse, n’aurait pas risqué l’âme des femmes dans le cas contraire.

J’en déduis donc fort logiquement que la Femme, être pur et innocent, était éloignée à l’infini de toute infernale libido, tandis que l’homme, objet préféré du Tentateur, était seul taraudé par ses désirs. Voilà comment m’apparut la première inégalité sexuelle.

Quelques décennies plus tard, je dois bien confesser ne plus trop croire à l’innocence du string dépassant, du décolleté profond comme une gorge du Verdon et de la jupe-ceinture à raz de la salle de jeux. Pas plus que je ne pense qu’elles achètent des pilles exclusivement pour leurs lampes de poches, et que la robe fendue à uniquement un côté pratique pour s’assoir.

Et je me remémore la phrase jubilatoire d’une consœur (de Bruxelles, car « à Charleroi, elles sont toutes saintes », dixit Ph. Balleux avec une infinie tristesse). « Je me suis acheté une tenue qui me fait plus nue que nue ! » Magnifique expression dionysiaque qui fleure bon la joie de vivre et la liberté ! Ainsi, l’autre moitié de l’Humanité (sauf ma maman) partage les mêmes turpitudes libidineuses.  « Ah les coquines, ah les gueuzes, ah les chiennes », comme dit  E. Gras ! Et ce n’est pas mon ami Pierre qui va me contredire, lui qui danse la salsa du démon sur la table du secrétariat. Oui, Pierre, je te dénonce ; cet homme a une vie sexuelle et il faut qu’on le sache enfin ! Mais revenons à notre escalier !

Voici que se lève sur les terres du KKK et du maccartisme, un nouveau parfum de prohibition, de quasi-morale hypocrite, d’éthique étouffante. L’histoire de DSK en est le prétexte, le drapeau, l’abcès de fixation, et ce vent de puritanisme morbide pourrait bien traverser l’atlantique. De nouveaux ayatollah du sexe se lèvent et hurlent leurs haines « le corps est mauvais, le corps est prison », l’hérésie Cathare renait de ses cendres et allume de nouveaux bûchers. Faisant de la femme une victime par essence, ils l’enferment plus surement que sous une bourka. Dénonçant la dangerosité des mâles, ils les châtrent et stigmatisent plus surement qu’Abélard.

Curieux phénomène qui trace des liens entre le sexisme le plus extrême et le féminisme le plus absolu : la femme doit être défendue, la guerre est commencée, la croisade se proclame. Ce n’est plus une question de liberté et de responsabilité individuelle mais une culpabilité sociale. De petits Torquemada vont soigneusement disséquer les attitudes des uns et des autres pour débusquer ce démon qui n’est plus religieux.

Certains journalistes se sentent déjà investi de la mission de censeur publique, de gardien de la morale. On ouvre l’époque de la joyeuse délation, du souvenir circonstanciel, de la culpabilité présumée ; il ne faudra pas longtemps pour qu’un nouveau numéro d’appel gratuit soit réouvert à Neufchâteau. S’il est un homme, il a tout ce qu’il faut pour nuire ; il est donc virtuellement coupable, « coupable en puissance », comme aurait pu dire Aristote ; désirer la femme d’autrui, n’est-il pas déjà commettre l’adultère ! Il ne faut, dès lors, plus se surprendre que les mannequins en brindilles anorexiques et les hommes androgynes soient un double modèle rassurant, politiquement correcte. La mode est toujours en avance d’un temps et ce temps à venir m’inquiète et me révulse.

Sans doute y a-t-il réponse à l’hyper pornographie de nos sociétés, mais le balancier risque d’aller bien loin vers un monde où le désir sera abomination, la séduction péché et l’invitation un commencement d’exécution criminel ! A n’y prendre garde, les temps des interdits viendra plus rapidement encore : à quand la censure de Gainsbourg et le voilage des statues de Vénus, à quand le retrait des lois sur l’avortement, la contraception, à quand des ascenseurs réservés aux femmes et d’autres aux hommes comme chez les fils de Saoud ? JP Moerman a mieux que moi synthétiser le chemin tracé par 1789, et celui-ci est plus que jamais d’urgente nécessité : « En matière sexuelle, je ne connais que le Code Pénal ; pour le reste, ni caméra, ni crucifix dans les alcôves… », à condition, toutefois, que le Code Pénal restent aux mains de lecteurs de Pascal, et qu’ils se souviennent de l’Ange et de la Bête.

Alors mon escalier, me direz-vous ?
Je crois que je vais le monter seul !

 

Yves Demanet
Avocat