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Le recours de l’article 30 de la Loi sur les armes

Le recours administratif organisé devant le ministre de la justice ou son délégué par l’article de la loi du 08 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes.

Dès le jour de sa publication au Moniteur belge, soit le 09 juin 2006, la loi du 08 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes entra partiellement en vigueur. Loi complexe et compliquée qui mélange des concepts parfois contradictoires, elle se voulait révolutionnaire et clarificatrice. Depuis, modifiée par la loi du 25 juillet 2008, elle a connu plus de trente-six textes complémentaires, dont une circulaire « explicative » de plus de 150 pages datée 29 octobre 2010 et publiée le 24 novembre 2010 qui fait toujours l’objet d’un recours au Conseil d’Etat ! Parmi les méandres de la nouvelle réglementation, a été créé un recours spécifique devant le ministre de la Justice ou son délégué. L’objet de cette étude nécessairement non-exhaustive est d’approcher ce recours.

Sous l’intitulé « Dispositions diverses » du chapitre XV, l’article 30 de la loi organisait un recours administratif devant le ministre de la Justice ou son délégué à l’encontre des décisions rendues par les gouverneurs de province « refusant,  limitant, suspendant ou retirant un agrément, une autorisation, un permis ou un droit » sollicité par un citoyen, ou contre une absence de décision dans les délais fixés par l’article 31. Ce recours administratif organisé peut être valablement exercé depuis le 09 janvier 2007, date d’entrée en vigueur de l’article 30 de la loi. Il répond à un ensemble de caractéristiques touchant aux formalités de son introduction, à son traitement et à ses effets communes à ce type de recours administratifs.

L’institution d’une obligation générale d’autorisation, pour toutes les armes à feu dans le cadre d’une politique globale de prévention, répond aux exigences de l’Union européenne. Ainsi était annoncé un des objectifs poursuivi par la loi du 08 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes. [1]

Sous le régime ancien de la loi de 1933 principalement modifiée par la loi de 1991, on se souviendra qu’il existait deux autorités différentes pour délivrer les autorisations de détention / acquisition. Il appartenait aux commissaires de police, et à défaut aux commandants de gendarmerie,  de décider librement de leur politique de délivrance d’autorisation en matière d’armes de défense (armes de poing principalement), tandis que les armes de guerre (armes automatiques, armes utilisées pour l’équipement de la troupe…) relevaient de l’autorité du gouverneur de province. On se souviendra que les armes de chasse étaient soumises au simple régime de la déclaration, sans autorisation préalable, tandis que les armes de panoplie, en vente libre, étaient énumérées dans les arrêtés royaux de 1984, 1991 et 1995. On se souviendra encore de la notion de « dépôt » d’armes (de défense ou de guerre – les armes de chasse n’étaient pas visées) qui relevait de l’autorisation du gouverneur de province. La volonté du législateur du 08 juin 2006 a été d’unifier et de déférer à une seule autorité, la délivrance des autorisations d’acquisition et de détention des armes à feu, la classification armes de défense / armes de guerre / armes de chasse ayant été supprimée. Ainsi,  la possession d’une arme à feu doit nécessairement être autorisée par le gouverneur de province (les exceptions des armes de panoplies, des régimes de collectionneurs, musées, tireurs sportifs et chasseurs ne seront pas développées ici). Cette centralisation du pouvoir décisionnel en faveur des gouverneurs s’accompagne de la création d’un recours administratif contre leur décision – et absence de décision – devant le ministre de la Justice. [2]

L’article 31 de la loi du 08 juin 2006, tel que modifié par la loi du 25 juillet 2008, fixe le pouvoir décisionnel du gouverneur de province dans les termes suivants :

« Le gouverneur se prononce :

1° sur les demandes d’agrément conformément aux articles 5, 6 (agréments des armuriers, des intermédiaires, des collectionneurs d’armes et de toute personne exerçant certaines activités professionnelles impliquant la détention d’armes à feu), 20 (agrément relatif à l’exploitation d’un stand de tir) et 21 (agrément relatif au transport d’armes à feu), dans les quatre mois de la réception de celles-ci.

2° sur les demandes d’autorisation ou de permis conformément aux articles 11 (détention d’arme à feu soumise à autorisation et des munitions y afférentes), 14 (port d’arme à feu soumise à autorisation) et 17 (demande d’autorisation pour la détention d’armes y soumises qui ont été acquises dans des circonstances autres que celles prévues aux articles 11 et 12), dans les quatre mois de la réception de celles-ci.

Sous peine de nullité, les délais prescrits par la présente loi, dans lesquels le gouverneur ou le ministre de la justice sont tenus de prendre une décision, ne peuvent être prolongés que par décision motivée.

La prolongation ne peut être accordée qu’une seule fois par demande, et sa durée ne peut excéder six mois ».

L’article 30 de la loi du 08 juin 2006 organise le recours devant le ministre de la Justice :

« Un recours est ouvert auprès du ministre de la Justice ou de son délégué, en cas d’absence de décision du gouverneur, dans les délais visés à l’article 31, ou contre les décisions refusant, limitant, suspendant ou retirant un agrément, une autorisation, un permis ou un droit, à l’exception des décisions concernant des demandes irrecevables.

Sous peine d’irrecevabilité, la requête motivée est adressée sous pli recommandé au service fédéral des armes, au plus tard, quinze jours après avoir constaté l’absence de décision dans les délais visés à l’article 31, ou après avoir eu connaissance de la décision du gouverneur, accompagnée d’une copie de la décision attaquée. La décision est rendue dans les six mois de la réception de la requête ».

§ 1. Les formalités liées à l’introduction du recours.

Le recours doit être introduit par requête motivée.

Cette dernière doit être adressée par pli recommandé au service fédéral des armes, créé par l’article 36 de la loi du 08 juin 2006, dans un délai de quinze jours à partir de la constatation de l’absence de décision du gouverneur, ou à partir de la prise de connaissance de sa décision « limitant, suspendant ou retirant un agrément, une autorisation, un permis ou un droit, à l’exception des décisions concernant des demandes irrecevables ». La difficulté réside dans l’exacte computation du délai de quinze jours. Dans la mesure où l’article 2 du Code judiciaire ne peut être invoqué, alors il y a lieu de considérer que c’est la règle générale applicable en matière administrative qu’il y a lieu de respecter : « le dernier jour pour introduire le recours est celui de l’échéance, même s’il s’agit d’un jour férié, sauf si un texte en dispose autrement », ce qui n’est pas le cas ici.

Rien n’est dit spécifiquement dans cet article 30 quant aux conditions requises pour introduire un recours devant le ministre de la Justice, mais il y a lieu à ce sujet d’avoir égard au prescrit de l’article 5 § 4 de la loi qui énonce l’ensemble des circonstances, dans lesquelles une demande sera jugée irrecevable, circonstances qui sont toutes en lien avec le passé judiciaire du demandeur.

Le recours est donc ouvert auprès du ministre de la Justice ou son délégué, mais c’est au service fédéral des armes (en abrégé S.F.A créé par l’article 36 de la loi du 08 juin 2006) qu’il doit être adressé. Ce service relève de la direction « Droit pénal », troisième pilier de la Direction générale Législation, Libertés et Droits fondamentaux du S.P.F. Justice. Il existe depuis le 09 juin 2006, date de l’entrée en vigueur de la loi du 08 juin 2006. A ce jour, c’est ce service qui se prononce sur les recours introduits en application de l’article 30 de cette loi.

La situation nous paraît curieuse, dans la mesure où les tâches qui sont réservées au S.F.A. sont strictement définies à l’article 36 de ladite loi, qui ne lui reconnaît aucune compétence pour se prononcer sur les recours formés contre les décisions des gouverneurs. La loi prévoit que ces recours soient tranchés par le ministre ou son délégué. Sans doute, peut-on voir en la personne de Monsieur Filip IDE, président du Service Fédéral des Armes, le délégué annoncé pour trancher lesdits recours, ce qui expliquerait le rôle joué par le S.F.A. dans leur traitement, mais nous ne relevons à ce jour aucun texte le désignant officiellement comme étant le délégué du ministre de la Justice compétent pour ce faire. Il nous paraît dès lors qu’à ce stade, ce ne serait que par application de la théorie du fonctionnaire de fait que l’ensemble des décisions rendues par le Service Fédéral des Armes sur les recours introduits à destination du ministre de la Justice ou de son délégué (toujours non-officiellement désigné) pourraient conserver leur validité, ce service et son président étant dans l’impossibilité de fournir un « titre authentifiant la régularité d’une qualité officielle ». [3]

Il convient en outre de s’interroger sur la concentration des pouvoirs en une seule personne : Monsieur F. IDE, anti-arme proclamé, est à la fois le principal rédacteur de la nouvelle loi, l’autorité de recours, le président du Conseil consultatif  (article 36 de la loi du 08 juin 2006) et le rédacteur des textes d’application outre la circulaire « explicative »…

§ 2. Le traitement du recours.

La dernière phrase du second alinéa de l’article 30 précise, que la décision rendue sur recours par le ministre de la Justice ou son délégué, devra l’être dans les six mois de la réception de la requête. Aucune sanction n’étant prévue en cas de dépassement du délai, l’on peut en déduire qu’il s’agit d’un délai d’ordre, dont le dépassement ne libère en aucun cas le ministre ou son délégué de leur obligation de statuer, mais qui ouvre par contre la possibilité au requérant d’invoquer l’article 14 § 3 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat pour mettre en demeure l’autorité administrative compétente de statuer sur son recours en cas de dépassement du délai raisonnable.

Rien n’est dit de la procédure d’examen du recours. Il y a donc lieu pour le ministre et son délégué de s’acquitter de la tâche qui leur est dévolue dans le respect des principes de bonne administration.

Toutefois, bien que le texte ne le précise pas, la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs trouve bien évidemment à s’appliquer ici, en telle manière que la décision rendue sur recours intenté sur base de l’article 30 de la loi du 08 juin 2006 devra être motivée en la forme.

§ 3. Les effets du recours.

Le pouvoir reconnu au ministre de la Justice et à son délégué, lorsqu’ils sont amenés à statuer sur le recours, introduit sur pied de l’article 30 de la loi du 08 juin 2006. Est-il un pouvoir de réformation ? Le texte ne le précise pas. Nous savons que tant la jurisprudence que la doctrine admettent largement qu’en cas de silence des dispositions légales organisant le recours sur cette question, le recours administratif est un recours de réformation.

A la question soulevée par Monsieur Melchior WATHELET sur la manière dont ce recours administratif allait se combiner avec le recours de droit commun ouvert auprès du Conseil d’Etat, Madame la ministre de la Justice, Laurette ONKELINX, confirma l’application de la règle générale, selon laquelle un acte administratif ne peut être attaqué devant le Conseil d’Etat que lorsque toutes les voies de droit prévues ont été épuisées, en telle manière que l’acte soit devenu définitif. [4]

§4. Le recours en cas d’absence de décision du gouverneur.

Le projet de loi qui avait été soumis à l’examen des parlementaires ne prévoyait la possibilité du recours devant le ministre de la Justice qu’à l’encontre d’une décision prise par le gouverneur « refusant, limitant, suspendant ou retirant un agrément, une autorisation, un permis ou un droit ». Rien n’était prévu en cas d’absence de décision du gouverneur dans le délai qui lui était imparti. Le texte se contentait de fixer un délai d’ordre de quatre mois dans lequel il devait statuer sur les demandes lui adressées, telles qu’énumérées à l’article 31 de la loi, en prévoyant la possibilité de prolonger ce délai d’une période maximale de six mois.

Madame Laurette ONKELINX avait précisé à cet égard que cette décision de prolongation était elle-même constitutive d’un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours. Elle précisa que, nonobstant le fait que le recours devant le ministre de la Justice ne soit pas ouvert au citoyen en cas d’absence de réaction du gouverneur dans le délai lui imparti pour ce faire, il n’en demeurait pas moins que cette situation ouvrait au requérant la possibilité de le mettre en demeure de prendre position. Si aucune suite ne devait être réservée à cette mise en demeure, le silence du gouverneur devrait être assimilé à un refus par omission susceptible d’être attaqué devant le Conseil d’Etat.

Monsieur Melchior WATHELET insista pour que le recours devant le ministre de la Justice soit également ouvert au citoyen en cas de silence du gouverneur, et ce, dans le souci d’assurer à tous les demandeurs, un même degré de juridiction supplémentaire. Monsieur Bart LAERMANS plaida également en faveur de cette modification : « le ministre de la Justice devrait être compétent pour statuer dans tous les cas – y compris dans le cas où le gouverneur s’abstient de prendre une décision. A défaut, les délais risquent d’être trop longs ». [5]

Monsieur Melchior WATHELET présenta, en ce sens, un amendement (n° 41 – DOC 51 2263/002) qui fut favorablement accueilli, dans la mesure où le texte en projet fut effectivement modifié pour étendre la possibilité d’intenter le recours organisé devant le ministre de la Justice « en cas d’absence de décision du gouverneur dans les délais visés à l’article 31 ».

§5. Une exception : les décisions relatives à des demandes irrecevables – l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 19 décembre 2007 (n°154/2007).

Les derniers mots du premier alinéa de l’article 30  prévoient une exception expresse au principe du recours devant le ministre de la Justice pour ce qui concerne les décisions concernant les demandes irrecevables.

Cette exception n’a bien entendu pas échappé à certains détracteurs de la loi, et recours en annulation partielle du texte légal fut intenté devant la Cour Constitutionnelle contre cet article par un Sieur Willy FURNEMONT et l’ASBL « Ligue des Amateurs d’Armes ». Les requérants dénonçaient le caractère discriminatoire de l’exception contenue dans cet article, en ce qu’elle privait les citoyens, dont la demande avait été jugée irrecevable par le gouverneur, de la possibilité d’exercer un recours ouvert par ailleurs à tous ceux dont la demande avait été jugée recevable. Ils invoquaient la violation des articles 10, 11, 12, 14, 23 et 191 de la Constitution à l’appui de leur recours.

Ce dernier fut joint à six autres recours en annulation totale ou partielle intentés contre un ensemble de dispositions de la loi du 08 juin 2006 par divers requérants, et la Cour Constitutionnelle se prononça sur l’ensemble de ces recours par un arrêt volumineux rendu en date du 19 décembre 2007 sous le numéro 154/2007, arrêt au terme duquel elle recevra les recours en annulation portant sur les articles 11, § 3, 9° et 29°, § 1, al. 2, 1° de la loi, rejetant pour le surplus les autres recours sous certaines réserves qui ne concernent pas l’article 30 alinéa 1.

En ce qui concerne cet article, la Cour rappellera le principe selon lequel « c’est au législateur qu’il appartient d’apprécier l’opportunité de créer un recours administratif contre une décision administrative, sans préjudice du recours en annulation devant le Conseil d’Etat », mais que « lorsque le législateur estime nécessaire de créer un recours administratif, il ne peut toutefois en priver une catégorie de citoyens sans justification raisonnable ».

Quelles étaient les raisons pour lesquelles le législateur avait décidé de réserver le recours devant le ministre de la Justice uniquement aux citoyens dont la demande était recevable ? Ces raisons étaient-elles constitutives de « justifications raisonnables » ? La Cour répondra à ces questions par ces termes : « En créant un recours auprès du ministre de la Justice ou de son délégué contre les décisions du gouverneur prises dans le cadre de la loi sur les armes, le législateur a permis aux personnes intéressées de faire contrôler par le ministre de la Justice les motifs du refus, du retrait, de la suspension ou de la limitation de leurs droits. En décidant de ne pas soumettre au ministre les demandes irrecevables, le législateur a créé entre les personnes intéressées une différence de traitement qui est justifiée par le souci de ne pas submerger le ministre de la Justice par des recours contre des décisions qui se fondent sur les causes d’irrecevabilité prévues par la loi. »

La Cour parachèvera son raisonnement en rappelant que « cette mesure ne porte d’ailleurs pas atteinte aux droits des intéressés, qui peuvent introduire un recours en annulation devant le Conseil d’Etat contre la décision du gouverneur, sans devoir au préalable introduire un recours devant le ministre de la Justice. » [6]

La décision du gouverneur de considérer une demande comme irrecevable ne peut, dès lors, faire l’objet d’aucun recours, et cette différence de traitement parait totalement justifiée aux yeux de la Cour Constitutionnelle. Cette position ne nous parait pas sans conséquence, dans la mesure, ou si l’on considère qu’un gouverneur de Province ait pu faire mauvaise application des dispositions de la loi du 08 juin 2006 à l’égard d’un requérant en lui refusant l’autorisation, l’agrément, le permis ou le droit sollicité et que de ce fait, il paraisse juste de permettre à ce citoyen de faire examiner sa demande par une autre autorité administrative, l’on ne peut écarter l’hypothèse que ce même gouverneur puisse aussi faire mauvaise application de l’article 5 de la loi, et déclarer irrecevable une demande qui ne devrait pas l’être. Le souci de ne pas submerger le ministre de la Justice pose question quant à un traitement non discriminatoire des citoyens.

Section 3. De quelques modifications apportées par la loi du 25 juillet 2008.

C’est une logique sécuritaire exacerbée par le meurtre raciste d’Anvers en mai 2006, davantage fondée sur un principe d’interdiction générale que de liberté contrôlée, qui présida à la rédaction de la loi du 08 juin 2006. Les travaux parlementaires qui l’ont précédée en témoignent largement, tant y est invoqué la menace du danger que représentent les armes [7]. Cet argument de dangerosité paraît en soi fort discutable, d’autant que l’on sait que, loin d’écarter le « danger », la prohibition est un des moteurs du marché noir. Ainsi le législateur a été mêlé en même sac le tireur, l’amateur de belles armes, le collectionneur et le truand oubliant que celui-ci ne se fourni pas plus dans le marché officiel que le trafiquant de drogue ne va faire ses emplettes en pharmacie.

Ainsi, l’on pourrait fort brièvement résumer le régime juridique auquel le texte du 08 juin 2006 soumettait les armes à feu de la manière suivante : la détention d’armes est interdite, sauf pour les collectionneurs, les chasseurs et les tireurs, moyennant autorisation du gouverneur de Province pour autant que soient respectées les conditions applicables à ces différentes catégories de personnes intéressées. Le texte n’envisageait qu’une détention « active » des armes, l’autorisation prévue par le texte portant à la fois sur l’arme et les munitions y afférentes (dont le nombre était par ailleurs limité pour chaque catégorie ci-dessus énumérées). Rien n’était prévu pour les détenteurs « passifs » d’armes à feu, et c’est notamment le cas de l’héritier désireux de conserver l’arme ayant appartenu au de cujus, sans pour autant l’utiliser, qui posait le plus de problème. Au terme de la loi du 08 juin 2006, ce dernier n’avait qu’une possibilité : faire abandon de l’arme héritée.

Il fut remédié à cette situation créant de facto une expropriation sans dédommagement par la loi du 25 juillet 2008 modifiant la loi du 08 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes qui, notamment, inséra dans le texte les articles numérotés 11/1 et 11/2 introduisant le concept de détention passive d’armes à feu.

L’article 11 de la loi du 08 juin 2006 établit l’obligation pour un particulier d’obtenir une autorisation du gouverneur de Province en vue de la détention d’une arme soumise à autorisation et des munitions y afférentes. Au terme de l’article 30 de la loi, la décision (ou l’absence de décision) rendue par le gouverneur sur telle demande d’autorisation, pour autant qu’elle soit recevable, est susceptible du recours organisé devant le ministre de la Justice.

La loi du 25 juillet 2008 a étendu l’obligation d’obtention d’une autorisation de détention « aux personnes désirant conserver dans leur patrimoine, une arme qui avait fait l’objet d’une autorisation ou pour laquelle une autorisation n’était pas requise avant l’entrée en vigueur de la présente loi » par l’ajout de l’article 11/1. Elle étend également cette obligation, à travers le nouvel article 11/2, à l’héritier « qui apporte la preuve qu’il a acquis dans son patrimoine une arme détenue légalement par la personne décédée », et qui souhaite obtenir autorisation de détention. [8]
Nous relevons que l’article 30 de la loi prévoit que le recours devant le ministre de la Justice ou son délégué est ouvert contre les décisions du gouverneur refusant, limitant, etc, sans pour autant restreindre cette voie de recours aux décisions rendues sur des demandes précisément énumérées. Il faudrait en déduire qu’eu égard au caractère général du libellé de l’article 30, alinéa 1, le recours ouvert devant le ministre de la Justice, le serait aussi pour les décisions rendues par le Gouverneur sur des demandes introduites sur base de dispositions postérieures à l’entrée en vigueur de la loi du 08 juin 2006. Cela ne nous paraît pas si évident, dans la mesure où les cas envisagés par les nouveaux articles 11/1 et 11/2 sont radicalement différents de ceux précédemment pris en compte, puisqu’il ne s’agit plus de détention active d’armes, mais bien passive.

A ce jour nous n’avons pas connaissance d’un recours introduit devant le ministre de la Justice ou son délégué dans le cadre de ces dispositions. Il nous semble que le texte gagnerait à clarifier cette question. Si le Gouverneur devait refuser une autorisation sollicitée sur base des articles 11/1 ou 11/2, et que le requérant intente un recours devant le ministre de la Justice pour s’entendre répondre après 6 mois que son recours est irrecevable, il aurait définitivement perdu la faculté d’intenter un recours en annulation devant le Conseil d’Etat contre la première décision, les délais pour ce faire étant écoulés. Par contre, s’il décidait de saisir immédiatement le Conseil d’Etat, et s’entendait répondre que son recours est irrecevable, faute d’avoir préalablement exercé le recours administratif organisé par l’article 30 de la loi, il aurait également définitivement perdu la possibilité d’exercer ledit recours, les délais fixés étant dépassés. [9]

Il est vrai qu’il ne s’agit pas du moindre, ni de l’unique paradoxe de cette loi « clarificatrice » !

Un recours administratif organisé doit l’être avec minutie. [10]

Tel n’est pas le cas à ce jour, et d’aucuns y voient l’expression d’une volonté délibérée ; autant de « pièges » dissuadent le citoyen de se perdre en procédure et l’abandon de l’arme et de ses droits devient l’attitude courante. On ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un des buts de ce parcours du combattant au milieu d’une législation buissonneuse et illisible.

La publication d’un texte désignant officiellement le délégué compétent pour se prononcer sur les recours intentés sur base de l’article 30 de la loi du 08 juin 2006 parait élémentaire, et l’ajout de quelques mots précisant si le recours prévu à l’article 30 est ouvert à l’encontre des décisions rendues par le gouverneur sur base de dispositions de la loi postérieures à l’entrée en vigueur de cet article, parait nécessaire. C’est une question de sécurité juridique.

 

Déborah CHARLIER et Yves DEMANET
Avocat

 

[1] Doc. Parl., Chambre, 2005-2006, n° 51-2263/003, pp. 4-6
[2] O. FABRI, La législation sur les armes – Comprendre la nouvelle loi et ses arrêtés d’exécution, Waterloo, Kluwer, 2010, pp. 149, 150
[3] M.-A. FLAMME, Droit administratif, t.I, Bruxelles, Bruylant, 1989, pp. 336, 337.
[4] Ibidem, pp. 37 et 38
[5] Ibidem, p. 38.
[6] C.C., 19 décembre 2007, n° 154/2007, B.60.3, p. 86.
[7] Cette logique d’interdiction se retrouve d’ailleurs dans le traitement des recours intentés sur base de l’article 30 de la loi – Entre 2006 et 2008, sur 248 recours formés, seuls 13 ont abouti à réponse favorable – Service Fédéral des Armes, Rapport d’activités 2006-2008, http://www.just.fgov.be/img_publications/pdf/263.pdf
[8] O. FABRI, op. cit., p. 35.
[9] P. NIHOUL (dir.), L’administration contestée – Les recours administratifs internes, Bruxelles, Bruylant, 2006 pp. 31-33 et D. RENDERS (et collab.), Droit administratif – Tome III Le contrôle de l’administration, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 28
[10] P. NIHOUL, (dir.), op.cit., p. 49