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Des effets de la relativité sur les procédures

Einstein nous a enseigné que le temps est relatif. Chaque système cohérent a donc sa propre horloge, et l’on se perd en conjectures sur la question de l’existence d’un temps universel extérieur et préexistant à l’Univers.

On sait, depuis 1927, par notre illustre carolo, le chanoine Georges Lemaître, que l’Univers tout entier aurait une existence de 13,7 milliards d’années, et on sait depuis Planck qu’il est théoriquement impossible de remonter au temps zéro, si tant est que le concept de « temps » ait encore un sens au-delà de la barrière dite du même Planck.

On sait aussi que ce qui était considéré comme des théories fumeuses de quelques savants a eu des conséquences incontournables dans notre vie de tous les jours et qu’ainsi, sans l’application des théories d’Einstein, aucun GPS ne pourrait fonctionner, puisqu’il faut considérer la vitesse du satellite, ce qui ralentit « son » temps, mais également son éloignement de la gravité terrestre qui accélère « son » même temps, en manière telle qu’à défaut de cette double considération, aucun GPS ne fonctionnerait.

On sait enfin que cette gravité, et l’hypothétique boson de Higgs actuellement recherché, a un effet à ce point sensible sur le temps qu’une horloge au rez-de-chaussée va plus lentement qu’une horloge au trentième étage. C’est ce même principe qui donne un éternel présent à l’intérieur d’un trou noir, puisque celui-ci a une gravité infinie.

D’autre part, le « temps » qui nous est perceptible est un concept linéaire (passé, présent, futur) et irréversible. Il ne peut se confondre avec la durée qui est une mesure convenue d’une perception limitée entre deux moments sur cette même linéarité. Ainsi, la durée se mesure de manière circulaire et répétitive (nos cadrans de montres), tandis que le temps, tel qu’il est perçu humainement, est une ligne continue.

D’aucun ont évoqué un « temps » séquencé (quantique) ou multidimensionnel, et les travaux de Stephen Hawking sur le temps perpendiculaire sont interpellants. D’autres, notamment R. Feynman, ont démontré, non seulement l’absence, mais la réversibilité du temps en mécanique quantique.

On peut donc logiquement et de manière simpliste résumer ces différents acquis du savoir en disant que le temps n’est pas le même pour tout le monde et que tout système a son propre temps.

Là où les choses deviennent intéressantes, c’est dans le télescopage de ces concepts avec notre article 21 ter du Code d’Instruction criminelle qui introduit dans notre procédure pénale, depuis la loi du 30 juin 2000, l’effet d’une durée sur la sanction. On notera immédiatement que le Législateur n’a pas écrit « Temps » ou « Durée », mais bien « Délai » qu’il qualifie de « raisonnable », relativisant ainsi une notion qui est déjà par nature relative.

On notera encore que la notion de « délai » implique une durée, dont on connait le départ et la fin.

Allons plus loin. Lorsque le Législateur parle de « Raisonnable », il fait donc explicitement référence à la « Raison », attribut spécifique à l’espèce humaine à ce stade de nos connaissances en biologie. Il considère donc que ce « délai » doit être affecté d’une appréciation relative, en manière telle que la notion de « délai » semble s’opposer au concept de « durée » qui serait par hypothèse plus mathématique. Le « délai » ferait donc référence au concept « temps écoulé » et le mot « raisonnable » doit alors être compris comme le regard de l’observateur qui apprécie le déroulement de ce « temps ». Einstein n’a rien dit d’autre.

Si on veut pousser le raisonnement, on constate que les effets de l’appréciation du délai raisonnable, ou de manière physique, « les conséquences de l’expérience faite par l’observateur », sont relatives à l’objet observé, ou à la cause jugée. Ainsi le délai raisonnable s’apprécie au regard de différents critères.

Prenons  la gravité des faits. Le mot parle de lui-même. La « gravité » influence le temps et le ralentit. Ainsi, pour un fait « grave », le délai raisonnable sera apprécié différemment que dans le cas d’un fait léger et simple par l’observateur-juge. En ce sens, le mot « gravité » en français évoque les notions de lourdeurs, de complexité, et c’est bien ce que notre jurisprudence retient. La gravité, en physique comme en droit, ralentit le temps de l’objet-cause, et donc le « délai » est apprécié raisonnablement comme s’étant écoulé moins vite par l’observateur-juge extérieur à la cause-objet de son jugement. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer l’absence d’influence sur la sanction de l’écoulement de délais parfois fort importants dans des causes particulièrement « graves ».

Un deuxième critère est l’attitude du justiciable. Ce critère semble bien loin de la comparaison avec une notion physique. Rien n’est plus faux. Comme rappelé précédemment, le justiciable est son propre objet qui a « son » propre temps. Et si l’on considère que son attitude peut être considérée comme dilatoire et donc augmenter le « délai », c’est tout simplement, comme en physique, que l’accélération du système « justiciable », l’énergie dépensée dans les procédures dilatoires, lui fait paraître un temps plus lent par rapport à l’observateur pour qui le temps est passé plus vite, en manière telle que pour l’observateur- juge, le délai raisonnable n’est pas encore atteint. En effet, et c’est bien en cela que les procédures sont considérées comme dilatoires, pendant celles-ci, le système temps du  juge-observateur s’est quant à lui ralenti par rapport au temps du justiciable.

CQFD!

Considérons maintenant la situation de l’Avocat. Il est à la fois dans et hors de l’espace temporel de son client, et il est à la fois dans et hors l’espace temporel du juge-observateur. Il est donc en soi dans un troisième espace-temps qui touche aux deux autres, et il l’est déontologiquement par nature. En effet, s’il n’a pas la « distance » suffisante, il est alors prisonnier de l’un ou de l’autre système, et ne peut, dès lors, expliquer à l’un, le système de l’autre, puisqu’il ne pourrait relativiser l’observation-plaidoirie. C’est donc d’une importance quasi-physique que notre code de déontologie nous impose cette distance à l’égard des deux systèmes-temps si différents. Sans cela, l’avocat ne peut remplir sa mission, ni envers l’un, ni envers l’autre.

Ainsi l’article 21 ter du Code d’Instruction Criminelle pourrait être lu comme une équation qui s’applique à l’appréciation par la « raison »  d’un temps considéré appelé « délai » à un fait. Le délai serait un élément d’un espace-temps relatif (la cause) aux limites connues, observé extérieurement par la raison du juge, délai dont l’importance est fonction de la gravité du fait et de l’accélération propre au système observé, observation qui serait préalablement soumise à l’analyse tout aussi relative de l’avocat.

Tout est donc relatif ; Einstein avait raison… même pour notre Code d’Instruction Criminelle.
(PS : D’aucuns n’ont plus voulu de mes articles sur les armes… que soit!)

 

Yves Demanet
Avocat