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Nietzsche et le 44 Magnum

En ces temps troublés, une nouvelle-nouvelle législation sur les armes est annoncée par les ministres de l’Intérieur et de la Justice.

Depuis la loi du 08 juin 2006, pas moins de 58 textes sont venus et revenus jusqu’à la nausée, jusqu’à la folie, pourrir le semblant de sécurité juridique nécessaire à toute loi.

Que le lecteur se rassure ; mon propos n’est pas d’établir ici une synthèse, par ailleurs impossible, de la matière juridique sur cette question particulière. Je voudrais simplement partager une réflexion sur le tir, qu’il soit à l’arc, à l’arbalète, à air ou à feu.

Qu’est-ce que tirer ?

Pour paraphraser un maître Zen : « Tirer, c’est toucher la cible ! » Rien de plus et rien de moins.
C’est imposer et soumettre sa volonté dans un geste et, par une chose, atteindre une autre chose à travers l’espace et le temps. Il y a donc un triangle entre l’esprit, le corps et la matière. L’esprit doit être calme et serein ; ayant appris la technique, il faut « se Souvenir de l’oublier » pour être le plus vide possible : entre ma volonté et la cible ; rien, aucune tension, aucune action ! C’est pour cela que la technique doit être maîtrisée au point d’être naturelle et non réfléchie. C’est aussi pour cela que les préoccupations du quotidien doivent être écartées. « Être dans la pensée sans penser » : être libre d’esprit !  Le corps doit être discipliné à l’esprit, mais il a ses propres exigences, ses propres finitudes. Les nier est ridiculement erroné ; le corps doit être respecté. Le plus immobile possible, il doit gérer dans la perfection recherchée et jamais atteinte, la nécessité de la respiration, le maintien de l’équilibre, la tension physique du porter, la fatigue oculaire, et plus encore, l’appréhension du coup de feu et de ses conséquences. Ce futur connu et inéluctable doit être écarté du présent, sinon son anticipation trouble le geste. Car la troisième pointe du triangle, c’est l’arme. Prolongement du corps et instrument d’expression de la volonté, l’arme a son propre univers, ses propres règles : les nier, ou simplement tenter de les soumettre, est encore impossible. D’abord son poids. Porter entre un et deux kilos à bout de bras ne présente en soi aucune difficulté, mais le faire et le refaire en essayant d’être le plus immobile, en essayant d’être le plus identique possible, représente un défi jamais atteint. Ensuite, en une fraction d’instant : le  feu, le bruit, le choc. Trois choses qui heurtent et apeurent nos sens et notre cerveau animal, giflent l’esprit prétentieux et lui imposent  le monde sensible. Maîtriser une arme qui tire, l’empêcher de bouger, est impossible. Ne pas être sensible aux messages de nos sens est tout aussi impossible. Ainsi, le toucher, l’ouïe et l’œil disent au cerveau : « Surtout, ne recommence pas », et dissocient brutalement le défi illusoire de fusionner esprit, corps et matière. Humilité de comprendre la limite de notre volonté humaine et notre action sur le monde. Harmonie contre brutalité, durée contre instant, volonté contre force, liberté contre contingence, non action contre explosion : voilà le tir. « Contre ? », certes non ! Et c’est là, la leçon du tir. C’est « Avec », car la cible, objet mental et objectif matériel, but et cause de l’acte, boucle la boucle et répond à l’esprit. Le paradoxe de la cible est d’être l’objet lointain à atteindre, mais la réponse quasi instantanée à l’arme, prolongement du corps dirigé par l’esprit. Distante physiquement, elle est immédiate à l’esprit, seul objet de son attention. Tirer c’est allier les paradoxes, associer les contradictions, « danser » les contraires.

Le tir est un acte gratuit car « Tout ce qui a son prix, a peu de valeur ». Il n’y a pas de mérite, de récompense, de victoire : il n’y a qu’une leçon d’humilité et l’épreuve constante de ses limites et des contingences du monde sensible et réel.

On ne tire pas contre quelqu’un, mais pour soi. Évidemment, il y a des compétitions, mais la plupart des tireurs vous diront ne jamais y avoir participé. Le résultat est intime, personnel, intransmissible. Ils n’ont pas à prouver « à l’autre » ; ils n’ont même rien à prouver ou à démontrer, car l’exercice est pour soi, en soi. Peu de mots sur un stand de tir, ni critiques ni encouragements, parfois un conseil. Un chemin montré. Même ce « conseil » est proposé. Je n’ai jamais entendu un moniteur, fut-il excellent, être directif et totalitaire, sauf sur la sécurité. Il y a chez les tireurs une humilité partagée, conscients, qu’aucun n’atteindra jamais le geste parfait et parfaitement répété. Une quête de l’impossible, car l’impossible est Humain, tellement « Trop Humain », et il arrive parfois que l’action accomplie, le résultat soit évident sans nécessité de vérifier la cible. Moment magique où la leçon de Nietzsche apparait : « L’Homme est quelque chose qui doit être dépassé. »

 

Yves Demanet
Avocat