Loi du 08 juin 2006 sur les armes : Nouvelles considérations.
Depuis sa publication le 09 juin 2006, la loi sur les armes a déjà connu plusieurs modifications sensibles.
Je me suis permis d’en évoquer certaines dans le dernier article publié au pli judiciaire.
Diverses évolutions sont cependant à épingler depuis.
La première concerne la publication au Moniteur Belge en page 36.12, le 23 janvier 2008, de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle prononcé en audience publique en date du 19 décembre 2007, et répondant à plusieurs recours déposés près la Juridiction Suprême.
La seconde consiste en la publication au Moniteur Belge en date du 31décembre 2007 de la loi du 23 novembre 2007 modifiant la loi du 08 juin 2006 réglant des activités économiques et individuelles avec des armes, afin de prolonger le délai de déclaration de détention d’armes.
Par son arrêt du 19 décembre 2007, la Cour Constitutionnelle répondait à un ensemble de recours lui introduit par différentes parties, en ce compris des associations de collectionneurs et de tireurs.
Les recours avaient pour objectif l’annulation totale ou partielle de la loi du 08 juin 2006, telle que publiée le 09 juin 2006.
Le long arrêt de la Cour Constitutionnelle (126 pages !) est impossible à commenter intégralement ici.
Il annule cependant plusieurs dispositions, et il convient de les reprendre succinctement.
Ainsi, l’article 11§ 3 9 de la loi du 08 juin 2006 est annulé, en ce que : « il ne mentionne pas comme motif légitime, la conservation d’une arme dans un patrimoine lorsque la demande d’autorisation de détention concerne une arme soumise à autorisation, à l’exclusion des munitions pour laquelle une autorisation de détention a été délivrée, ou pour laquelle une autorisation de détention n’est pas requise. »
La disposition répond à l’effet d’expropriation vécue comme spoliation des nouvelles dispositions de la loi du 08 juin 2006 qui avait, notamment, pour conséquence de priver un chasseur de ses armes, s’il ne disposait plus d’une licence de chasse (en ce sens, voir le point B.72.4 de l’arrêt qui renvoi aux points B.51.2 page 76 et B.51.3 en page 77), ou empêcher la conservation d’une collection ou sa transmission par héritage.
En cela, la Cour d’Arbitrage revient aux dispositions de la loi de 1991 qui permettait de délivrer une autorisation spécifique à une personne souhaitant conserver une arme à l’occasion d’un héritage au titre de souvenir, ou simplement le maintien d’un patrimoine intrafamilial.
Il convient cependant d’être attentif, en ce que la Cour ne dit pas que la disposition qu’elle sanctionne empêche le Roi, par arrêté royal, de conditionner la « conservation patrimoniale » de l’arme, et, en ce sens, il convient de rappeler le considérant B.21.2.1. : « L’article 11 § 3 9 de la loi attaquée énumère une liste de motifs qui, dans les conditions à déterminer par le Roi par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, peuvent être considérés comme légitimes pour l’acquisition d’une armes soumise à autorisation et des munitions y afférentes. […] » (Arrêt, page 36)
D’un même contexte, la Cour rappelle que constitue un motif légitime au sens de l’article 11§ 3 9 e : », l’intention de constituer une collection d’armes historiques » (Arrêt, page 63, B.39.2. et page 68, B.42.1)
Cela n’autorise pas l’héritier par hypothèse, à demander à conserver une arme de guerre, selon l’ancienne loi de 1933, et qui serait devenue prohibée au sens de la loi nouvelle. Ainsi, la Cour rappelle : « Les particuliers, même s’ils disposent d’une autorisation de détention d’arme à l’exclusion des munitions, NE peuvent donc détenir – outre les armes en vente libre qui ne sont pas soumises à autorisation – QUE des armes soumises à autorisation, et non des armes prohibées, telles que des armes automatiques » (Arrêt, page 71, B.44.5)
On lira donc très attentivement la loi du 08 juin 2006, et, notamment, son article 3 qui qualifie les armes prohibées et qui s’oppose dès lors à la détention par héritage des armes prohibées. On notera que l’héritier est dispensé de l’épreuve prévue à l’article 11 § 3 7, selon l’article 11§ 4, alinéa 3 2 de la Loi du 08 juin 2006.
Enfin, le terme « détention », rappelle la Cour, doit s’entendre dans un sens usuel et désigne dès lors la possession effective « Quel que soit le titre juridique qui la fonde » (Arrêt, page 48, point B.27.7). La détention se distingue du port au sens des articles 9 et 14 et du transport au sens de l’article 10 de la Loi du 08 juin 2006 (On sera particulièrement attentif à l’alinéa 1 de l’article 14 et aux commentaires de Monsieur le Procureur Général de Liège V. de Beaucarmé dans sa mercuriale de septembre 2007 !) La Cour quant à elle, définit le « port » comme la capacité pour le « porteur » de se saisir de l’arme « immédiatement et sans déplacement ». Cette double condition était déjà retenue par la jurisprudence (Arrêt, page 48, numéro 27.7 et page 73, numéro B.48.1, notamment).
Il est plus que regrettable que la Cour constitutionnelle ait attendu le 19 décembre 2007 pour rectifier cette disposition alors que le premier délai de grâce expira le 01 janvier 2007 et que le deuxième délai de grâce modifiant la portée de l’article 44 de la loi du 08 juin 2006, telle que précisée par la loi du 09 janvier 2007, imposait aux citoyens, pour se mettre en conformité avec la législation, la date ultime depuis dépassée, du 30 juin 2007 (le troisième retenant la nouvelle date du 31 octobre 2008 !)
L’abandon massif d’armes, parfois de haute valeur, héritées et conservées jalousement à l’intérieur des patrimoines familiaux, est évidemment irréparable au sens moral, mais l’est-il au sens patrimonial, et toute action en responsabilité contre l’Etat Belge, est-elle vouée à l’échec? La question me semble restée ouverte, puisque dans son dispositif, la Cour limite les effets de l’annulation prononcée des dispositions de l’article 29 § 1 alinéa 2, point 1 à la date de publication au Moniteur belge. Il se constate en effet que seule cette dernière disposition est visée par le point 3 du dispositif et, dès lors, il semble que l’article 11 § 3 9 en soit exclu. La mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat se heurtera à un ensemble de questions dont une reposera sur la démonstration de la faute de l’Etat Belge.
La Cour Constitutionnelle annule également l’article 29 § 1er, al. 2.1 de la loi du 08 juin 2006.
Cette disposition, dérogatoire au droit pénal général, permettait, notamment, à tout membre de police fédérale, de police locale ou des douanes de : « pénétrer en tout temps et en tout lieu où les personnes agréées exercent leur activité» dans la recherche de toutes les infractions relatives à la loi du 08 juin 2006 et à ses arrêtés d’exécution. Les personnes agréées se définissant par le chapitre IV de la loi du 08 juin 2006, soit les armuriers, mais aussi les intermédiaires, les collectionneurs et « toute personne exerçant certaines activités professionnelles impliquant la détention d’armes à feu » (Arrêt, page 99, numéro B.77.1).
La Cour sanctionne cette disposition qui concernait au premier regard toutes ces personnes, mais seulement elles, possesseurs ou détenteurs d’arme(s). Cependant, me semble-t-il, cette disposition permettait bien plus encore…
L’on se souviendra que l’article 3 § 1er17 qualifie le terme « armes » au sens d’armes prohibées : « les objets et les substances qui ne sont pas conçus comme armes, mais dont il apparaît clairement, étant donné les circonstances concrètes, que celui qui les détient, porte ou transporte, entend manifestement les utiliser aux fins de menacer ou de blesser physiquement des personnes. ».
La conjugaison de l’article 29 § 1er al. 2.1, et, notamment, de l’article 3 § 1.17, permettait de facto à toute autorité policière de perquisitionner de jour comme de nuit en quelque lieu que ce soit, et ce, non seulement en violation flagrante de l’article 15 de la Constitution, mais également de l’article 8, 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, convention de Rome directement applicable en droit interne.
La Cour constitutionnelle sanctionne cette légère « entorse » au droit commun en disposant, notamment : « Bien que, dans le contexte de la loi attaquée, la nature des infractions recherchées – qui concerne la détention illégale d’arme – peut justifier un système de dérogation au droit commun des perquisitions ou visites domiciliaires, l’absence de toute garantie, telle que l’intervention d’un Juge, la distinction entre les locaux visés ou l’indication des heures de ces visites – pour les droits des personnes agréées est manifestement disproportionné à l’objectif poursuivi » (Arrêt de la Cour, page 102.B 77.6), en rappelant que même en matière de trafic de stupéfiants, l’article 6 bis de la loi du 24 février 1921 modifié par l’article 89 de la loi du 09 juillet 2004, ne permettait pas une telle « latitude » (Arrêt, page 101 , numéro B.77.5)
Cette disposition choquait particulièrement le monde des collectionneurs qui se sentait plus suspect et plus criminel que les trafiquants de drogue !
Il est par contre curieux que la Cour, face à une telle liberté prise avec la Constitution et la Convention de Rome, limite les effets de son annulation à la période postérieure à la publication au Moniteur, intervenue ce 23 janvier 2008 seulement !
Ainsi, la loi du 08 juin 2006, en son article 29, faisait fi de la loi de 1961 de la Constitution et de la Convention de Rome ; il était difficile de faire mieux à la quasi-unanimité des députés.
La Cour Constitutionnelle exprime encore diverses réserves, et il convient de s’y attarder brièvement.
Ainsi, la Cour, si elle admet le principe d’une délégation conférée à un autre pouvoir par le législateur en vue de régler l’aspect particulier d’une infraction, rappelle la nécessité de strictement se conformer aux actes pénalement répréhensibles, selon l’article 8 de la loi du 08 juin 2006, lorsqu’ils sont relatifs à des armes prohibées.
La Cour rappelle encore le fait que les peines sont déterminées par les articles 23 à 25 de la loi du 08 juin 2006, et c’est dans cette stricte limitation que la Cour admet la possibilité pour le législateur d’étendre la notion d’armes prohibées par disposition règlementaire.
La 2ème réserve est relative aux conditions de port d’arme (et non pas de détention), telles que prévues aux articles 14 et 15 de la loi du 08 juin 2006, en ce que ces dispositions, et plus particulièrement l’article 15, visent les personnes autorisées par l’article 12 et les conditions autorisant le port d’une arme à feu sans être titulaire d’un permis de port d’arme en bonne et due forme, en imposant, notamment, l’existence et la persistance d’un motif légitime et la limitation du port, au fait qu’il s’exerce exclusivement dans le cadre de la pratique des activités qui sont visées.
Un des recours stigmatisait la possibilité pour le Juge d’apprécier souverainement la légitimité du motif et les conditions du port, craignant une autonomie d’incrimination.
La Cour rappelle que le Juge est tenu de se conformer aux circonstances de l’espèce. L’appréciation de la poursuite raisonnable de l’activité ou des objectifs pour lesquels le permis de port d’arme a été délivré ou pour lesquels les personnes visées à l’article 15 de la loi, sont dispensées de l’obligation d’obtenir un tel permis.
On lira sur ce point particulier, la circulaire GPI 62 du 14 février 2008 relative à l’armement de la police intégrée, structurée à deux niveaux, publiée le 29 février 2008 (page 12615 du Moniteur) et plus particulièrement le chapitre II relatif aux détentions : port et transport de l’armement des policiers.
Une 3ème réserve est exprimée quant à la transmission d’armes par héritage. Conformément à ses considérants précédents, la Cour considère comme disposant d’un motif légitime, celui qui souhaite conserver l’arme dans son patrimoine et répond aux nécessités de la sécurité publique, limitant la possibilité de l’autorisation à l’arme elle-même sans les munitions.
Je crois déjà avoir développé ce point et on lira utilement les considérants de la Cour de B.80 (page 103) à B.89.3 (page 111) sur la question.
Paradoxalement, entre le prononcé de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle intervenu le 19 décembre 2007 et sa publication intervenue le 23 janvier 2008, le législateur a publié une loi antérieure au prononcé de l’arrêt et antérieur à la publication de celui-ci, soit la loi du 23 novembre 2007 publiée le 31 décembre 2007. Ceci me permet d’introduire le deuxième objet de cet article.
On se souviendra que la loi du 08 juin 2006 en son article 44, disposait un délai de grâce permettant aux citoyens de se mettre en conformité avec la nouvelle législation dans un délai de 6 mois ou d’un an, selon la qualification des armes. Cette disposition a été modifiée une première fois par la loi du 09 janvier 2007 en son article 3 publié au Moniteur, le 01 février 2007, prorogeant le délai, déjà expiré, me semble-t-il, au plus tard le 30 juin 2007.
Le législateur, par sa loi du 23 novembre 2007 publié le 31 décembre 2007, « proroge » une nouvelle fois ce délai déjà expiré, en le portant cette fois au 31 octobre 2008.
Ainsi, toutes les limitations du délai de grâce accordé par l’article 44 de la loi du 08 juin 2006, sont reportées systématiquement au 31 octobre 2008.
L’article 5 dispose que : « la présente loi produit ses effets le 30 juin 2007 ».
La loi produit donc un effet manifestement rétroactif à la loi du 30 juin 2006 et au délai expirant au 30 juin 2007. Or, on se souviendra que le 02 août 2007, soit après l’expiration du deuxième délai de grâce, le Moniteur belge a publié un arrêté royal du 09 juillet 2007 disqualifiant un ensemble d’armes soumis à l’interdiction en armes de panoplie, donc libres, au sens de la loi du 08 juin 2006, en manière telle que la plupart de ces armes qui devaient être restituées pour le 30 juin 2007 conformément aux anciennes dispositions, et qui l’ont été en grande partie, faisant la joie des médias, se sont retrouvées postérieurement à la date du 02 août 2007 qualifiées d’armes de panoplie, c’est-à-dire de détention libre ; tandis que les autres armes soumises à des mécanismes de détention, tel que le prévoit la loi du 08 juin 2006, qui ont également dû être déposées, notamment, au Commissariat de police pour le 30 juin 2007 au plus tard, se trouvent maintenant bénéficier d’un nouveau délai de grâce expirant au 31 octobre 2008 !
Voilà donc deux dispositions qui prorogent un délai chaque fois terminé qui ont comme conséquence qu’actuellement tout détendeur d’armes, sauf les armes prohibées (et encore !), bénéficie d’un nouveau délai expirant au 31 octobre 2008 pour se mettre en conformité, à condition qu’il n’ait pas respecté les obligations qui lui étaient imposées par les anciennes dispositions de la nouvelle loi, et qu’il n’a dès lors pas déposé ses armes conformément à l’ancien article 44 de la loi du 08 juin 2006, soit dans les 6 mois de publication de ses dispositions intervenu le 09 juin 2006… Faut-il encore apporter un commentaire à cette succession de délais prorogés-expirés ? Et que dire de l’aveu infractionnel produit en toute bonne foi par le respect du nouveau délai. Ainsi celui qui dépose maintenant, prouve qu’il n’a pas respecté les deux premières dispositions…
Le sentiment profond que l’honnête citoyen a été trompé et abusé d’une part, et d’autre part, la création dans l’Opinion Public de la certitude que de nouvelles dispositions viendront à nouveau proroger des délais qui expirent entretemps, en manière telle qu’il vaut mieux ne rien rendre, seront appréciés par chacun. L’insécurité juridique est manifeste. Seule une refonte totale de cette législation, comme le dit Monsieur le Procureur du Roi de Dinant, permettrait de sortir de cet énorme chaos.
En synthèse, et pour permettre de retenir quelques idées simples qui doivent guider la réflexion juridique en cette matière, l’on retiendra qu’hors le problème des armes prohibées (mais ce n’est pas absolu), il existe un nouveau délai de grâce qui expire le 31 octobre 2008, afin de permettre aux citoyens de respecter les nouvelles dispositions.
L’on retiendra également que par l’arrêt de la Cour Constitutionnelle, le motif légitime peut être une conservation purement patrimoniale d’un objet, interdiction faite des munitions (ce qui pose d’autres problèmes).
L’on retiendra encore que le droit de perquisition absolu accordé par la loi du 08 juin 2006, est recadré dans le droit commun, et l’on retiendra enfin que la Cour Constitutionnelle fait manifestement un appel du pied au législateur pour qu’il toilette enfin son texte et le rende vraiment applicable à défaut d’être lisible. Et je ne parle pas du projet de régionalisation de la Loi, ni de l’effet du permis de chasse européen, ni encore du projet de directive européenne. Ceci nous promet encore de belles évolutions législatives et le maintien de la consommation massive d’anxiolytiques profonds.
Yves DEMANET
Avocat