Sont publiées au Moniteur ce 14 Mai 2014, deux lois « fourretout » qui modifient de manière très large un ensemble de matières tant pénales que civiles. On relèvera particulièrement le chapitre 2 de la loi de ce 25 avril 2014 qui insère l’article 28 novies dans le Code d’Instruction Criminel. Cette nouvelle disposition permet au Parquet d’ordonner la destruction d’objets saisis AVANT tout jugement définitif. On se souviendra qu’à raison du principe de présomption d’innocence, les saisies pénales, sauf exception, ne pouvaient être assimilées aux confiscations qui relèvent du Juge du Fond uniquement et sont par ailleurs qualifiées de « peine » par la Jurisprudence de la Cour Européenne. On se souviendra encore que la confiscation peut être en principe assortie d’une mesure de sursis. On relèvera encore que les pièces saisies pouvaient être présentées au Juge du Fond, contestées par la Défense dans un débat contradictoire cette fois et appréciées par le Juge. A cet égard, l’histoire judiciaire récente regorge d’objets qualifiés unilatéralement par le Parquet d’ »armes prohibées » qui se sont vu requalifiées en armes en vente libre par le Juge et…restituées
Par ces nouvelles dispositions, le Parquet peut ordonner ce qu’il faut bien qualifier de « destruction conservatoire » tant pendant une information que parallèlement à une instruction mais alors sous autorisation préalable du Juge d’Instruction.
Les objets susceptibles d’une telle mesure sont « définis » au § 2 de l’article… On y lira que les termes sont tellement génériques que tout peut être visé. Le lecteur sera particulièrement attentif au point 1° qui précise : « 1° des biens qui, par leur nature, constituent un danger grave pour la sécurité publique ou la santé publique ». Les objets qualifiés comme tels (Par qui ? Selon quels critères ?) échappent au caractère suspensif du recours précisé au § 7, 2° in fine qui précise : « La décision de destruction des biens, visés au § 2, 1°, est exécutoire de plein droit »
En termes clairs, cela veut dire que si une arme est considérée unilatéralement comme relevant du §2, 1°, le Parquet ordonnera la destruction sans opposition possible : peu importe la présomption d’innocence et peu importe le droit du contradictoire au Fond ou la possibilité d’un sursis quant à une confiscation ! Mieux, le § 6 précise : « Les coûts de la destruction, […] sont des frais de justice ».
Pour les autres biens définis au § 2, 2° à 4°, un recours est possible, mais cette procédure de contestation doit être introduite par requête dans les 15 jours devant la Chambre des Mises en Accusation de la Cour d’Appel compétente territorialement (article § 7, 2°). Cette juridiction peut décider de postposer la destruction selon différentes conditions et termes (§ 7 in fine). Parallèlement, une autre innovation « surprenante » permet de suspendre la procédure devant le Juge de la Cour si le Parquet décide de « retirer ou revoir sa décision », ou encore d’imposer «le respect d’une ou de plusieurs conditions » (§ 7). Il n’est pas dit si ces nouvelles modalisations sont elles-mêmes susceptibles de recours en manière telle, on l’aura compris, que le Parquet fera ce qu’il voudra et qu’en cas d’appel devant un Juge, il reprendra la main comme, quand et dans les conditions qu’il voudra ! La procédure d’appel est donc soumise de fait à l’autorité du Procureur du Roi ! Ceci est une violation manifeste de l’indépendance des Juges. Cette technique du « retrait d’acte », fréquemment utilisée devant le Conseil d’Etat par le Service des Armes, est ici « importée » en droit pénal… Les juristes apprécieront.
Last but not least, l’Etat a prévu les conséquences d’une destruction « trop rapide » qui s’avèrerait non fondée. Le § 8 prévoit que l’Etat Belge remboursera selon le principe suivant : « l’indemnité correspond à la valeur du bien détruit au moment de la destruction. » qui fixera cette valeur, comment expertiser un bien détruit, qui avancera les frais de procédure, d’avocat, d’expertise ? Y répondre est comprendre que très peu agiront !
Notre droit pénal vient donc d’intégrer l’exécution pénale à titre conservatoire et la présomption de culpabilité.
Bravo !
Yves Demanet
Avocat