Voilà qu’en quelques jours, deux drames défrayent la chronique aux USA et interpellent la réflexion civile sur le droit des armes à grand renfort d’effets médiatiques.
Pourtant, comparer la situation des USA avec celles de la Belgique ou de la France, est en soi une ineptie.
D’abord, nous n’avons pas d’équivalent au Second Amendement, de telle sorte que notre droit dépend chez nous de la Loi et non de la Constitution.
Ensuite, que ce soit en France ou en Belgique, la détention d’armes à feu est beaucoup plus strictement réglementée qu’aux USA.
Il est à noter à cet égard que les deux dernières tueries aux USA ont été accomplies avec des armes légalement détenues, tandis que les tueries de Liège (décembre 2011) ou les multiples règlements de comptes à Marseille ou en Corse, l’ont été avec des armes de guerre parfaitement prohibées.
Egalement, la tuerie du Connecticut a été commise par une personne souffrant de troubles mentaux et celle de Webster a été commise par un meurtrier libéré après 17 années de prison pour avoir tué sa grand-mère à coup de marteau. Dans les deux cas, que ce soit en France ou en Belgique, l’accès légal aux armes leur aurait été interdit. Il a longtemps que la Loi a répondu au souci de rendre impossible toute acquisition légale d’armes à ces catégories de personnes.
Dès lors, une interdiction totale n’a pas de sens. Il suffirait déjà que les textes actuels puissent être simplement appliqués. La question n’a donc aucune pertinence, et comparer sans recul le(s) droit(s) américains sur les armes avec celui de la Belgique ou de la France, est aussi inepte que de comparer la situation afghane avec celle des pays européens.
En ce qui concerne les USA, il est interpellant de constater que les chiffres avancés, le sont sans aucune nuance. Ainsi, la presse évoque 30.000 morts par an par armes à feu, mais oublie d’indiquer qu’ils incluent une grande proportion de suicides (18.000 !). Concernant les homicides, aucune distinction n’est faite entre ceux commis avec des armes légalement détenues de ceux commis par des gangs et autres cartels avec des armes illégales.
Peu importe cependant, car n’y aurait-il qu’un mort, cela suffirait à constituer en soi un argument.
Il faut, dès lors, considérer que la question se pose sur le principe, et subsidiairement les conditions de l’accès aux armes.
Sur le principe, retenons que cette question ne se pose pas quant aux armes illégales qui le sont puisque par définition.
En ce qui concerne les armes à feu légales, l’analyse doit être objective.
Il convient de rappeler que les deux attentats les plus sanglant aux USA ont été commis avec des cutters (New York-11 septembre 2001) et avec de l’engrais (Oklahoma City-19 avril 1995).
Dans le cas de New York, il est plus qu’interpellant de constater que les détournements ont été réalisés avec des moyens qui présupposaient l’absence totale d’armes de défense dans les avions. Les Israéliens ont bien compris cette problématique depuis longtemps, et ont une autre politique de sécurité.
Les attentats du 11 septembre démontrent à suffisance que même s’il y avait une interdiction absolue de toutes les armes à feu et un contrôle systématique de tous les citoyens, l’horreur resterait possible et inévitable.
Le Rwanda montre à suffisance l’inanité du raisonnement fondé sur la prohibition de l’arme à feu au nom de la sécurité collective.
Les lois d’interdiction absolue n’ont par ailleurs jamais eu l’efficacité recherchée, même lorsque la violation était sanctionnée de la peine capitale : les réseaux de résistance dans nos pays (40-45) le prouvent à suffisance.
L’interdiction absolue de l’accès aux armes n’est donc ni efficace ni efficient.
Sur les conditions.
Toujours dans un souci d’objectivité, il convient de relativiser le concept même de Liberté.
Personne ne considère comme outrageant, en nos pays, de présenter un ensemble de garanties et de se soumettre à des contrôles. Il en est de même pour le permis de conduire, pour la fiscalité, pour la scolarité…
Personne chez nous ne demande, et n’a jamais demandé, un accès total et sans limite, et personne ne veut pouvoir librement disposer de grenades (comme à Liège) ou de mines ou encore d’obus à l’uranium appauvri…
Coller aux amateurs d’armes, l’image de miliciens anarchistes psychiatriquement attirés par des engins de mort, est encore plus débile que de comparer sans nuance la situation des USA à la nôtre !
Par contre, l’interdiction légale, pour être juste et légitime, doit s’appuyer sur une réalité et une vérité.
Interdire, comme en Belgique, les armes de panoplie, au motif que cela contribue à la sécurité publique et en faire une réponse à la tuerie de Liège, est en soi d’une malhonnêteté absolue. Il ne s’agit plus de sécurité, mais de sécuritaire, dont le concept même n’a pas de limite.
Il n’y a en effet aucune raison de ne pas étendre l’interdiction aux armes de chasse et de tir, de prohiber ces activités et d’étendre ces prohibitions à tout ce qui pourraient ressembler à un entraînement (Tir forain, biathlon, tir à l’arc, paintball, softgun, jeux sur PlayStation…) ou à une connaissance (musées, livres, histoire, éducation politique, films de guerre…)
Il est d’ailleurs singulier de constater que ce prohibitionnisme, voué paradoxalement à faire les beaux jours de la criminalité, s’instaure depuis que le concept d’armée professionnelle efface peu à peu celui d’armée de la Nation.
Cette prohibition absolue est contraire aux principes de 1789, contraire au principe du Citoyen libre et responsable, contraire à la légitimité, même du Pouvoir, dont l’exercice ne devrait s’attacher qu’à promouvoir la Liberté, indissociable de la Sécurité Publique, et l’interdiction rester exception.
Il serait facile de comparer les morts de la route en France (4500) et en Belgique (800) avec le nombre d’homicides par armes. On pourrait aussi comparer les morts dans les stands de tir (aucun) avec ceux de l’alpinisme, du football, du cyclisme ou de la natation.
Cette triste comptabilité se heurterait à un premier argument : on peut vivre sans les armes !
La réponse cynique est évidente, on peut vivre sans l’escalade ou la moto ou l’alcool… En cela une victime est une victime et il n’y en pas de plus acceptables que d’autres : la vie humaine a égale valeur pour tous.
En fait, la vraie réponse est de se demander au nom de quoi et de qui, puisque l’on sait que la prohibition absolue n’est pas une réponse à la délinquance, d’aucun s’arroge le droit d’interdire à des citoyens paisibles une activité, une pratique sportive, un intérêt voire une connaissance.
La réponse qui nous est faite est dans la nature de l’objet : l’arme à feu serait par nature un engin exclusivement de mort et d’agression.
Cette réponse doit être analysée.
L’argument d’ « exclusivité de finalité homicide », ne résiste pas à de rapides exemples : fusils de chasses, armes de tir, armes de défense, armes de collections… voilà des destinations qui par définition excluent l’exclusivité.
Resteraient alors des armes plus exclusivement à finalité de mort, pour lesquelles nos législateurs qui les ont prohibées ont déjà répondu à la question (mines, grenades, lance-flamme, full-auto…) L’exigence de précaution a toujours eu place dans le débat, et personne en Europe ne le conteste sérieusement.
En réalité, les hoplophobes tentent alors, par l’amalgame savant de peurs, d’ignorances et de mauvaise foi, de faire glisser l’univers polymorphe des armes vers la catégorie tout à fait limitée des armes de guerre actuelles.
Rien n’est plus faux, rien n’est plus réducteur.
C’est comme confondre en un seul concept le restaurant trois étoiles et l’obésité, le trafic de drogue et les pharmacies, ou encore la délinquance armée avec les tenanciers de musées.
Ce télescopage est fondé sur une idéologie détestable qui se veut seule détentrice de Vérité et seule gardienne de la Paix Civile.
Elle surfe sur le sensationnalisme et le politiquement correct et exclut en réponse à son incurie face à l’insécurité, une catégorie de citoyens respectueux des Lois.
C’est sur base de mêmes mécanismes absolutistes qu’en d’autres temps l’Inquisition, les Gardes Rouges, les maccarthystes… et tant d’autres inspirés, ont voulu le bonheur de tous.
Comme toute prohibition, elle aura deux conséquences : apprendre aux citoyens à ne pas respecter la Loi et créer un marché noir aux bénéfices plantureux pour la délinquance.
Il nous faut comprendre un dernier moteur essentiel : la peur !
Car si la prohibition est idéologique, c’est bien la peur qui justifie l’attitude. C’est par le biais de cette peur, d’un malaise collectif, que la minorité prohibitionniste entend imposer ses vues et ses objectifs.
Il ne sert à rien de discuter avec « ceux qui détiennent la Vérité » ; s’agissant d’ayatollahs, s’y opposer, c’est s’opposer à la Vérité Unique. Par contre, il est consternant de voir stigmatiser sans aucune raison, ceux qui sont les plus opposés par nature aux armes illégales et à leur usage illicite, car aucun armurier, aucune société de chasse, aucun musé et aucun tireur n’accepte d’être assimilé à un tueur d’enfants ou de pompiers. Il nous faut malheureusement dire cette évidence, et nous avons encore un droit : le vote.
Evidemment, il n’a pas lieux de tomber dans un autre piège : si la question des armes aux USA n’est pas transposable chez nous, il en est de même de la NRA. L’histoire européenne n’est pas celle des USA, et l’abolition des privilèges relatifs aux armes est un des fruits de 1789, non pas la réclamation d’un clan politique conservateur.
Chacun doit donc être respecté dans ses convictions et la technique du lobby nous stigmatisera un peu plus, permettant aux hoplophobes la caricature.
Par contre, il nous faut dialoguer, inviter, expliquer et être présents dans cette société où la tolérance ne peut être à géométrie très variable, et où l’émotion supplanterait la Raison.
Il n’en va pas de la question des armes, mais bien d’une qualité de société.
Yves Demanet
Avocat