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50…..20…..170

Ce 09 mars 2011 à 11h45, les dragons frappent le Japon. Le premier, de la puissance de 8.000 bombes atomiques, sera suivi par un deuxième plus meurtrier, en une vague gigantesque qui ouvrira le gage du troisième à Fukushima. Ce troisième, le plus terrible et le plus inattendu, apporte poison et douleurs.

Il y a des lieux et des dates qui marquent l’histoire de l’Humanité ; à n’en pas douter « Fukushima 2011 » rejoindra « Bhopal 1984 »  et  « Tchernobyl 1986 ».

Le 12 mars 2011, le premier des quatre réacteurs de la centrale explose. Très vite, la situation décrite au départ comme incidentielle, devient accidentelle, et les experts commencent à craindre le pire : une quadruple fusion de plusieurs tonnes de matières radioactives. On connait la suite, et l’Histoire nous donnera les détails.

Mais ce 12 mars 2011, la société commerciale TEPCO, propriétaire de cette centrale, annonce avoir « besoin », doux euphémisme politiquement correcte, de 20 techniciens supplémentaires qui rejoindront les 50 qui luttent contre le temps.

Ils seront 170 à être volontaires pour l’enfer.

Si à Tchernobyl, le système soviétique a livré plus de 600.000 soldats nullement informés aux dieux du communisme, ces 170 japonais posent un choix libre et conscient. Ils savent qu’ils n’ont aucune chance ; ils savent aussi qu’à défaut de leur sacrifice, l’accident deviendra, et les conséquences seront apocalyptiques.

D’aucuns les ont qualifiés de Kamikaze, jetant déjà le linceul sur leurs vies. Rien ne me semble plus faux. Les Kamikazes, jeunesse sacrifiée au nom d’une idéologie totalitaire, pris entre une dévotion patriotiques et la terreur d’une exclusion sociale, étaient des êtres de mort, condamnés à mort, portant la mort. Ceux de Fukushima se sacrifient pour la Vie, pour celles de leurs proches, de leurs familles, mais aussi pour les millions de japonais et d’humains, qui bien au-delà de la frontière, seraient exposés au souffle du troisième dragon. Ils veulent vivre le plus longtemps possible, car ils savent parfaitement la nécessité de leur présence. Ils veulent vivre pour que d’autres vivent.

JJ Rousseau disait que la caractéristique de l’Humanité était la capacité de poser un choix libre jusqu’à l’absurde, de choisir son futur. Voltaire dans Candide, s’en moquait bien. Fukushima, c’est aussi l’Ode terrible à JJ Rousseau et à la Liberté humaine.

Ce ne sont pas des mercenaires à la solde d’une société commerciale capitaliste ; le mercenaire ne sacrifie pas sa vie, il la risque pour un prix, dont il entend bien profiter. Ce n’est pas non plus la mort flamboyante du héros wagnérien, ni le martyr démonstratif des cathares, et ce n’est certainement pas l’innocence des enfants d’Auschwitz. Ce sont des pères, des fils, des amants… tout le contraire de fous sanguinaires et égoïstes, avides d’un paradis au soixante vierges et pressés de quitter une vie de frustrations. Ces « frères humains », comme disait Fr. Villon aux portes de la potence, ne font pas de leur mort un message, c’est leurs vies qu’ils donnent, pas leur mort. Il leur faut au contraire vivre terriblement le plus longtemps possible. Ils savent, ils connaissent, eux les techniciens, chacune des étapes de leur choix. La pudeur impose silence. En quoi serions-nous plus compatissant, plus condoléants, plus exonérés par un descriptif morbide et quasi-pornographique du chemin assumé. Eux le savent, eux le vivent et rien ne leur sera épargné, ils n’ont pas de doute quant à ce. Le prix, heure par heure, minute par minute, ils le connaissent,  et le vécu de l’instant est moins terrible que la seconde à venir ; ils n’en ignorent rien et l’heure présente crie les souffrances de la suivante. Ils n’ont même pas le droit à la pitié des pharmaciens, comment travailler, lorsque l’effacement de la douleur est au prix de la conscience ? Comment ne pas mesurer la violence de l’étau qui broie l’homme entre deux mâchoires, dont l’une s’appelle choix, l’autre souffrance.

Et pourtant, au-delà de l’horreur, il y a là un immense espoir et une confiance infinie en l’Humanité. Faut-il que ces vivants entrés volontairement dans ce gigantesque four à micro-onde, croient en l’Homme, sa valeur, son importance au point de bruler vivant ; sommes-nous bien sûr de tous et chacun le mériter, car dans ce choix conscient, il y a aussi une responsabilité, une exigence de demain. Ce sont mes frères en Humanité qui meurent pour moi et les miens, qui meurent aujourd’hui pour nos lendemains. Il convient d’en mesurer le prix payé.

Une vérité est dite, une vérité humaine, pas celle d’un dieu, d’une idéologie ou d’un Etat, pas celle d’un paradis, d’une terreur ou d’une vengeance ; une vérité terriblement humaine, plus humaine que le confort du croyant, le courage du soldat et la haine du désespéré. Une vérité simplement et totalement humaine, paisiblement indépassable, dégagée des idoles, dont Nietzsche appelait au crépuscule. Et si Simon Wisental a pu dire que la preuve de l’existence de Dieu se trouve à Auschwitz, Fukushima prouve alors l’existence de l’Homme.

Ils étaient 50, il en fallait 20 de plus…100 s’y sont joints. Aucun n’est reparti, aucun ne reviendra.

Pays du Soleil levant, celui qui s’est levé ce 12 mars, à l’ombre de trois dragons, éclaire l’Humanité : il s’appelle Espoir.

 

Yves Demanet
Avocat