Quelques considérations sur le statut des armes blanches, au regard des nouvelles dispositions de la Loi du 08 juin 2006.
Le 09 juin 2006, le Moniteur belge a publié une loi réglant les activités économiques et individuelles avec des armes baptisées : « Loi sur les armes ».
Lors d’un article précédent, j’ai émis quelques considérations générales sur les dispositions contenues dans cette nouvelle législation.
Au jour de la rédaction du présent, l’on voudrait bien considérer les annonces qui sont régulièrement faites quant à une loi générale réparatrice sur la matière, en manière telle que les quelques commentaires que je vais oser ci-après, sont nécessairement révisables au regard des dispositions nouvelles qui semblent devoir intervenir tout prochainement. Le Soir a publié le 24 novembre 2007, le refus du Roi de signer un projet modifiant déjà certaines dispositions. Ce refus aurait été expliqué à raison de l’absence de gouvernement !
En cet article, je vais tenter de cerner les dispositions particulières relatives à la catégorie des armes blanches.
L’article 2 de la loi du 08 juin 2006, en son point 13, définit les armes blanches comme étant : « toute arme munie d’une ou plusieurs lame(s) et comportant un ou plusieurs tranchant(s) ».
Le Grand Robert définit le mot « arme » comme : « un instrument d’attaque ou de défense » (Grand Robert, tome I, page 236).
La définition, telle que reprise en l’article 2 des nouvelles dispositions, semble opposer le mot « arme » à d’autres concepts, tels que « outil », « œuvre d’art » ou « jouet ».
La lecture des commentaires de la plaquette éditée par le Ministère de la Justice, en vue de faciliter la compréhension des nouvelles dispositions, permet de découvrir en page 12 une énumération non exhaustive d’un ensemble d’armes, dont, notamment, les épées, glaives, baïonnettes et autres.
D’après le commentaire que le Ministère de la Justice a publié quant à cette catégorie d’armes, la nouvelle loi ne changerait rien : « Quelle démarche devez-vous entreprendre ? La nouvelle loi ne change rien pour vous, sauf si votre arme était déjà soumise à autorisation sous l’ancienne législation. Dans ce cas, la durée de validité de votre autorisation est limitée à cinq ans» (La nouvelle loi sur les armes, Service public fédéral justice, page 12).
Ici, comme dans d’autres dispositions de la loi du 08 juin 2006, il est donc fait référence expressément aux dispositions de la loi de 1933, en manière telle qu’on ne peut se permettre de faire l’économie d’une relecture des dispositions de l’ancienne législation.
On se souviendra à cet égard qu’en ce qui concerne les armes tranchantes et piquantes, le législateur de 1933 prévoyait, en son article 3, tel que modifié par la loi du 09 mars 1995, un principe, une exception et une exception à l’exception.
Ainsi, l’article 3 de la loi de 1933 disposait : « Sont réputées armes prohibées […], les poignards et couteaux en forme de poignard, à l’exclusion des couteaux de chasse, les cannes à épée et […] ».
D’un même contexte, étaient considérées comme armes prohibées : « toute arme offensive cachée ou secrète qui ne serait pas réputée arme de défense ou arme de guerre ».
Ainsi, l’on considérait généralement comme étant prohibés, les poignards et couteaux en forme de poignard, ainsi que tout couteau pliant de type canif, comportant un mécanisme de blocage de la lame dit « cran d’arrêt ».
Généralement, il était admis qu’il s’agissait d’armes blanches courtes de nature à frapper d’estoc « de pointe », principalement par opposition à l’usage de taille « de tranchant ». L’on notera que les armes d’hast ne sont pas visées.
L’exception la plus notable était les poignards de chasse et la jurisprudence avait considéré depuis de longues années que les baïonnettes n’entraient pas dans la catégorie des poignards prohibés.
L’on se souviendra que le poignard et le couteau à cran d’arrêt étaient cependant en détention libre, puisqu’à l’époque la détention d’armes prohibées était libre, ce qui a été changé par les nouvelles dispositions de la loi du 08 juin 2006.
La nouvelle loi du 08 juin 2006 introduit un principe de liberté et deux catégories d’exception : l’une est objective, l’autre est circonstancielle ou subjective.
Pour tenter d’avoir une approche pragmatique de ces nouvelles dispositions, il conviendra de se référer au principe énoncé par le point 1 du paragraphe 2 de l’article 3 de la nouvelle loi qui dit que : « Sont réputées armes en vente libre : les armes blanches, les armes non à feu et les armes factices non soumises à une réglementation spéciale ».
Le nouveau législateur semble donc régler définitivement la question en considérant que toutes les armes blanches sont en vente libre sous la réserve de l’interdiction prévue à l’article 19.1. concernant le commerce par correspondance.
Au rang de la prohibition objective, la nouvelle législation précise en son article 3 § 1er que sont réputées armes prohibées: « les couteaux à cran d’arrêt et à lame jaillissante, couteaux papillon, coups de poing américains et armes blanches qui ont l’apparence d’un autre objet ».
En ce même paragraphe 1er, au point 11, les couteaux à lancer sont expressément visés comme étant prohibés de même, et fort logiquement, les étoiles à lancer prévues au point 14, tandis que le point 16 permet au Ministre de la Justice et au Ministre de l’Intérieur de désigner par Arrêté Royal, tel type d’arme que l’un ou l’autre devrait considérer comme constituant un grave danger pour la sécurité publique.
Au rang de la prohibition objective ou circonstancielle, l’article 3 § 1er point 17 comporte un article de portée générale qui permet de considérer tout objet ou toute substance comme constituant une arme s’il apparaissait clairement, au regard des circonstances, que celui qui l’a détient entend manifestement l’utiliser aux fins de menacer ou de blesser physiquement des personnes.
Ainsi, si le principe du paragraphe 2 point 1 est d’établir que toutes les armes blanches sont en vente libre et de commerce libre, les exceptions prévues par le paragraphe 1er permettent au législateur, d’une part, d’étendre la notion d’armes prohibées à toute arme blanche qu’il devrait considérer comme telle et, d’autre part, de considérer que tout objet, c’est-à-dire un simple outil comme une hachette ou un marteau, constitue une arme prohibée au sens de l’article 3 § 1er 17, à raison des circonstances de la cause.
Hors, l’extension possible par Arrêté Royal ou Arrêté Ministériel, d’une part, au sens de l’article 3 § 1er et 16 ou de la qualification ponctuelle et particulière par décision de jurisprudence au sens de l’article 3§1er 17, restent les interdits prévus aux points 5, 6, 12 et 14.
L’article 3§1er point 5 prohibe les couteaux à cran d’arrêt qui sont également à lame jaillissante ainsi que les couteaux papillon, les coups de poing américains et les armes blanches qui ont l’apparence d’un autre objet.
En ce qui concerne les armes blanches qui ont l’apparence d’un autre objet, il s’agit de la vieille notion d’arme vicieuse, cachée ou secrète, telle qu’elle était anciennement reprise par les dispositions de l’article 3 de la loi de 1933.
En cela, la législation n’a pas changé.
En ce qui concerne les couteaux à cran d’arrêt, le législateur a, pour une fois, pris une position pragmatique en ce qu’il considère que sont prohibés les couteaux qui sont à cran d’arrêt si, et seulement si, ils sont également à lame jaillissante. Il y a là double condition. Il est à noter qu’à ma connaissance, une administration interprète actuellement le « ET » comme étant un « OU », et bloque à ce jour un ensemble d’importation. On se méfiera de la confusion sur le processus d’ouverture de la lame, en ce que la simple force de gravité opérant ouverture ou sortie de la lame, suffit au sens de la Loi pour remplir la condition de « jaillissante » (article 2, point 7 de la loi de 2006). Par contre, il est maintenant parfaitement clair que tous les couteaux à lame droite, à lame fixe, quelle que soit la forme de la lame, sont libres sous réserve des couteaux de jet.
Cela veut dire concrètement que l’Opinel a quitté le statut d’arme prohibée pour rejoindre le statut des armes blanches tout à fait libres, puisqu’il faut pour que le couteau à cran d’arrêt soit prohibé qu’il soit également à lame jaillissante.
L’interdit du couteau papillon se comprend mal si ce n’est la transcription d’une poussée médiatique mal comprise. Il ne faudra pas confondre le couteau papillon avec l’emblème du papillon utilisé par la marque Benchmade.
En effet, le couteau papillon est ce qu’on appelle le couteau « Ballisong » originaire des Philippines, importé aux Etats-Unis, ensuite de la seconde guerre mondiale lors du retour des G.I. et popularisé par des couteliers américains comme Benchmade, Spiderco ou Cool Steel.
Il s’agit d’un couteau comportant un manche en double partie qui s’ouvre et permet par une rotation à 360 degrés « d’ouvrir » le couteau et de le tenir en position ouverte par la fermeture, bloquée ou non, du manche sur lui-même. Le concept est définit par la loi du 08 juin 2006 en son article 2 point 8.
Ce couteau a été largement popularisé dans divers films de cinéma asiatique et a occasionné de multiples blessures aux doigts de tous les gamins qui se sont essayés au genre de jonglerie dont il était fait promotion.
On comprend mal en quoi ce couteau serait plus dangereux qu’un autre ???
Qu’en est-il des couteaux papillon à valeur historique ou artistique ???
Le point 6 § 1er de l’article 3 prohibe les cannes à épée.
L’on se souviendra que l’article 3 § 4 de la loi de 1933 qualifiait d’armes de panoplie : « les armes d’intérêt historique, folklorique et décoratif défini par le Roi… »
Considérant les nouvelles dispositions, il semble que les cannes épées soient à nouveau sous statut d’armes prohibées à condition qu’elles ne soient ni décoratives ni historiques, ce qui reprend l’ancienne exception des arrêtés royaux de 1991. Le « ni » doit s’analyser comme étant un « ou », ce qui à nouveau transforme le Juge en arbitre des élégances et de l’esthétique ou en senseur de l’Histoire.
Le point 12 § 1er de l’article 3 prohibe encore les couteaux à lancer, ce qui était déjà le cas sous l’ancienne législation.
Toute la question est de savoir ce qu’est un couteau à lancer, même si ce terme est défini par le point 14 de l’article 2, en ce qu’un couteau à lancer est : « un couteau dont l’équilibrage particulier permet le lancement avec précision ».
En réalité ce type de définition n’a absolument aucun sens, puisque tout couteau peut être lancé d’une part, et d’autre part, chaque couteau connaît un point d’équilibrage « particulier ». Le législateur prend bien soin de ne pas le définir, tant il est vrai qu’en fonction des différents couteaux à lancer, ce point d’équilibrage entre la pointe de la lame et la fin du manche, se trouve soit au milieu, soit à un tiers ou un quart. Il existe même des dispositifs permettant de faire varier ce point. En réalité, un couteau principalement prévu pour être lancé répond à un ensemble d’autres critères : il est de poids moyen, d’une seule pièce, avec une poignée simplifiée résistant aux chocs. Il y a peu ou pas de garde. La lame est généralement symétrique, la pointe assez large pour ne pas trop s’abîmer et d’un alliage privilégiant une certaine souplesse sur la dureté. A ma connaissance, les seuls vrais couteaux à lancer se trouvent dans la culture africaine et comportent une multitude de lames aux axes opposés.
Rien à voir avec un point d’équilibre ! Là encore, on sent l’influence d’une certaine culture de série B !
Le point 14 § 1er de l’article 3 vise la prohibition, objective, des étoiles à lancer. Il s’agit des « surikken » ou « étoiles japonaises » que tout spectateur d’un film d’art martial a vu un jour abattre un immeuble de dix étages et égorger à deux cents mètres, une centaine de citoyens d’Asie. Ces étoiles sont des armes de jet par nature, et l’on comprend que dans la philosophie de prohibition du couteau à lancer, elles connaissent le même sort contrairement à la législation française, notamment.
Concrètement, que faut-il retenir des nouvelles dispositions : d’une part, qu’il n’y a plus de distinction entre poignards et couteaux et, d’autre part, que toutes les armes blanches en principe sont libres sous réserve des interdictions de l’article 19.
A cela, un ensemble d’exception doit être considéré, à savoir les énumérations objectives des armes blanches prohibées, telles que reprises en l’article 3, et telles que définies en l’article 2, d’une part, et d’autre part, les énumérations qui seront très certainement publiées par Arrêté Royal ou par Arrêté Ministériel.
Enfin, à raison du principe énoncé par le point 17 du paragraphe 1er de l’article 3, une notion de prohibition subjective ou circonstancielle pourra être considérée. Ainsi, tout objet et donc toute arme blanche, pourra être qualifiée d’arme prohibée dans un contexte de menace aux personnes.
Il conviendra, en outre, d’être particulièrement attentif à la portée de l’article 9 de la nouvelle loi du 08 juin 2006, en ce que le port d’une arme en vente libre n’est permis qu’à celui qui peut justifier d’un motif légitime.
Le législateur fait ici usage de bon sens en laissant au Juge le soin d’apprécier la qualité du motif invoqué quant au port d’une arme blanche. En cela, il rejoint l’exception de l’exception de l’article 3 de la loi de 1933 qui permettait, notamment, aux chasseurs de disposer d’un poignard.
Comme dit en préambule du présent article, on annonce régulièrement une loi réparatrice générale et globale en matière d’armes.
Il existe une tentation sécuritaire d’interdire purement et simplement tout couteau, en ce compris le canif suisse au motif que, depuis la révision du statut des armes à feu, la criminalité se serait « rabattue » sur les armes blanches. Certains crimes en Angleterre qui ont défrayé la chronique, montrent l’usage des armes blanches en matière de délinquance.
D’autres législations nationales interdisent purement et simplement les armes blanches autres que les couteaux de cuisine. Ainsi, en est-il, notamment, de la législation japonaise à l’égard des sabres (Katana).
Faut-il aller jusque-là ? Si ma mémoire me sert, se sont bien de simples cutters qui ont servi le 11 septembre 2001.
Le « rien ne change » de Madame le Ministre de la Justice, méritait d’être nuancé.
Yves DEMANET
Avocat
Concrètement :
1. Est-ce une arme blanche ?
1.1. Si oui, est-elle longue ?
1.1.1. Si oui, est-ce une canne épée ?
1.1.1.1. Si oui, a-t-elle un intérêt décoratif ?
1.1.1.2. Si oui, a-t-elle un intérêt historique ?
Si deux fois non : prohibé.
1.1.2. Si non : la lame est-elle fixe ?
1.1.2.1. Si non, y a-t-il un cran d’arrêt ?
1.2.1. Si oui, la lame est-elle jaillissante ?
Si oui : prohibé !
1.2. Si oui est-ce une étoile à lancer ?
1.2.1. Si oui : prohibé !
1.3. Si oui, est-elle visée par un arrêté royal ou ministériel ?
1.3.1. Si oui : prohibé !
1.4. Si non, le port ou le transport a-t-il comme objectif de menacer ou blesser ?
1.4.1. Si oui : prohibé !